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lundi 12 septembre 2016

Lire et écrire – Synthèse du rapport de recherche

Étude de l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages

Dir. : Roland Goigoux
09.2016



Extrait (pp 19-21) :

L’hypothèse du rôle du caractère explicite d’une pédagogie dans la réussite des élèves trouve sa source dans deux familles de recherche. La première, psychologique, met en évidence le rôle des représentations mentales et de la conceptualisation dans le développement et les apprentissages. La seconde, sociologique, s’interroge sur l’origine des inégalités scolaires et met l’accent sur la “connivence” entre la socialisation familiale des élèves issus de milieux favorisés et les attendus scolaires.

Des recherches convergentes, depuis un demi-siècle, insistent sur le rôle important, dans les apprentissages, de ce qu’on a souvent groupé sous le terme de métacognition : un ensemble de connaissances et de processus de régulation qui permettent de prendre du recul par rapport à ses propres processus mentaux et aux données de l’apprentissage. Dans le domaine de l’entrée dans l’écrit, Downing et Fijalkow ont avancé la notion de clarté cognitive comme condition favorisant cette entrée, en s’appuyant notamment sur les travaux de Fitts et Posner. Ils accordent à la clarté cognitive une importance toute particulière, définissant cette dernière comme la compréhension de deux sortes de concepts en rapport avec la lecture : ceux concernant la compréhension des fonctions de l’écrit, et ceux, plus techniques, auxquels on a recours pour parler de l’oral et de l’écrit, pour décrire leur fonctionnement. De nombreux autres travaux ont suivi et précisé la nature des métaconnaissances jouant un rôle dans l’entrée dans l’écrit et correspondant à autant de composantes de l’apprentissage de la lecture-écriture. Ces connaissances sont autant de représentations mentales évolutives, de conceptualisations de la nature et des fonctions de la langue écrite, du processus de lecture, des tâches scolaires. Ainsi, avoir compris le principe alphabétique, ou celui de la régularité du système orthographique, mais aussi les finalités des tâches scolaires, ouvre à la possibilité d’apprendre, y compris par analogie, les correspondances graphophonétiques ou l’orthographe. Ces conceptualisations sont-elles explicites ? C’est en tout cas à travers leur verbalisation par les enfants que les chercheurs y accèdent en général. De nombreuses recherches suggèrent qu’un rôle essentiel de l’enseignant dans l’étayage des apprentissages consiste à amener les élèves à cette clarté cognitive, en explicitant et en faisant expliciter et clarifier le fonctionnement de l’écrit, les stratégies, les buts et les enjeux. La question du rapport entre connaissances implicites et explicites se pose d’ailleurs de façon plus générale. Les élèves, dans le domaine de la lecture comme dans celui de l’écriture, possèdent de nombreuses connaissances implicites, des connaissances acquises par une exposition à l’écrit et aux textes, sans qu’elles leur aient jamais été enseignées, ni même qu’elles aient été énoncées : des recherches expérimentales l’ont mis en évidence pour la structure des suites de lettres ou pour la morphologie. Pourtant, « les habiletés installées par apprentissage implicite ne semblent pas être disponibles pour l’accès conscient et pour une utilisation intentionnellement pilotée par le lecteur ». D’où l’insistance, chez beaucoup de chercheurs en psychologie, sur un enseignement explicite du code alphabétique. En outre, on a montré qu’être capable de faire des liens entre les diverses situations de travail et d’utiliser des connaissances antérieures est une condition pour apprendre ; les élèves en échec juxtaposent les situations de classe sans les relier. D’où l’importance des “gestes de tissage” par lesquels l’enseignant explicite les liens et fait appel à la “mémoire didactique”, c’est-à-dire à une mémoire partagée relative aux objets de savoir étudiés, en particulier dans les moments d’ouverture et de clôture de séance.  Dans les phases d’ouverture des séances, l’enseignant peut recourir à un ensemble de gestes ou de procédés d’enseignement qui font référence à des situations de travail déjà vécues ou à des connaissances antérieures. Grâce à ce rappel, l’élève a alors « la possibilité de mobiliser un savoir qu’il ne possédait pas complètement, un savoir qu’il n’aurait pas pu utiliser tout seul et qui va lui permettre de donner du sens à la question dont il s’occupe ». Pour clore la séance, l’enseignant peut procéder à ce que Brousseau a désigné sous le terme d’“institutionnalisation des savoirs”. L’absence de ces moments d’institutionnalisation semble particulièrement préjudiciable aux élèves.

À ces analyses, les approches sociologiques ajoutent la dimension des inégalités de réussite scolaire, et notamment de réussite dans l’apprentissage du lire-écrire, d’élèves issus de milieux sociaux contrastés. Entrer dans l’écrit suppose une série de conceptualisations qui vont de pair avec une mise à distance du langage, une capacité à prendre le langage comme objet d’étude, et donc à passer d’une maîtrise pratique du langage à « une maîtrise symbolique, consciente et réflexive ». Or, remarque Lahire, les dispositions “méta” ne sont pas seulement des dispositions cognitives. Elles sont aussi, dans des univers sociaux différenciés et hiérarchisés, des dispositions qu’on pourrait qualifier de socio-politiques. En effet, les pratiques langagières étant fondamentalement liées aux formes que prennent les relations entre les acteurs, la maîtrise symbolique du langage, la capacité à adopter des dispositions métalangagières peuvent impliquer, dans certains univers sociaux, la maîtrise symbolique de ceux qui maîtrisent le langage sur le mode pratique. En outre, la méconnaissance des formes et des attendus du travail scolaire rend les savoirs visés peu identifiables pour beaucoup d’élèves issus des milieux défavorisés. Les modes de faire de l’enseignant peuvent aggraver ou réduire ces inégalités. Ainsi le caractère “invisible” d’une pédagogie, qui va de pair avec l’implicite et l’incertitude, se révèle particulièrement différenciateur, en ce qu’il renforce l’opacité des situations scolaires pour les élèves non préparés par leur socialisation familiale. C’est ainsi que naissent des “malentendus sociocognitifs” entre les buts de l’enseignant et ce que certains élèves en perçoivent, et que « l’écart se creuse entre des élèves qui sont dans l’activité intellectuelle requise et ceux qui la miment et ne voient que les aspects les plus extérieurs et mécaniques de la tâche scolaire ». Ainsi, si les  études  anglophones  sur les enseignants efficaces mettent en évidence qu’ils explicitent les démarches et les procédures et, même, qu’ils amènent les élèves à s’approprier un “cadrage instruit”, c’est-à-dire à comprendre les objectifs de l’école, les recherches que nous venons d’évoquer conduisent à penser que cela pourrait également caractériser les enseignants les plus équitables, ceux qui laissent le moins jouer les dispositions socialement acquises et aident les enfants des milieux populaires à construire à l’école ce que les autres enfants ont souvent déjà construit à la maison.


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