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samedi 18 juin 2016

L'Enseignement Explicite : dix ans après !



Voilà dix années que Françoise et moi faisons la promotion de l’Enseignement Explicite en France en particulier, et dans les pays francophones en général. Il est donc temps de faire le point sur cet engagement et d’en expliquer les raisons.

À la sortie de l’école normale d’instituteurs d’Aix-en-Provence, à la fin des années 1970, je mis en pratique tout ce que mes “formateurs” (si on peut les appeler ainsi) m’avaient appris des techniques “modernes” d’enseignement. Je fis donc du Freinet, de l’éveil (ex. : le costume à travers les âges), des mathématiques modernes, de la grammaire syntagmatique, des démarches de découverte, du tâtonnement expérimental, de la psychopédagogie (qui était à la mode à cette époque), du travail en groupe, des promenades pédagogiques, etc. Le tout, avec un succès relatif mais au grand contentement des divers conseillers pédagogiques qui venaient me voir. J’étais alors complètement dans l’orthodoxie pédagogique apparue quelques années auparavant…

Cependant, dès le début des années 1980, je fus envoyé dans une école d’un quartier sensible de Marseille (ce qui m’a permis d’assister en direct à la création des ZEP). Tous les dispositifs pédagogiques que j’avais appris et mis en œuvre jusque-là ont très vite commencé à prendre l’eau avec mes élèves dont la plupart étaient en difficulté, certains ayant déjà redoublé parfois plusieurs fois, rares étant ceux possédant les acquis nécessaires pour le niveau officiel de la classe.

Dans cette école en zone prioritaire qui n'accueillait que des enfants issus de l'immigration récente et où je suis resté douze ans, il m’a donc fallu rectifier le tir, en abandonnant ce qui ne marchait pas et en conservant ce qui fonctionnait. Aussi, dès la fin des années 1980, ma façon d’enseigner n’était plus du tout la même, ni dans l’air du temps. Partir du simple pour aller au complexe, prendre le temps d’expliquer, avoir beaucoup de rigueur mais aussi d’exigence, répéter et répéter encore, faire comprendre les stratégies, proposer de nombreux exercices d’entraînement. Paradoxalement, cela n’eut pas de conséquences néfastes sur mes inspections : ma classe travaillait dans un bon climat, les élèves apprenaient de manière apaisée, et cela suffisait aux inspecteurs qui en avaient vu d’autres dans ces quartiers défavorisés.



Dans le courant des années 1990, je voulus étayer mes démarches pédagogiques par une assise théorique solide. Il m’apparut alors que les seuls à contester ce que l’on appelait le pédagogisme étaient des partisans de l’enseignement traditionnel, généralement des professeurs du Secondaire ou du Supérieur. Leur critique était purement argumentative, elle ne reposait sur aucune étude sérieuse et on ne s'intéressait pas encore au processus cognitif des élèves. Rosenshine avait écrit ses travaux fondateurs dix ans plus tôt mais ceux-ci n’avaient pas encore traversé l’Atlantique. Personne n’en parlait ni même le connaissait.

À cette époque-là, le consensus sur les pédagogies nouvelles était total dans le Primaire. À un point tel que le mot “constructivisme” était totalement inconnu des enseignants. Le paradigme pédagogique prédominant allait tellement de soi, était tellement indépassable, qu’il n’était même pas utile de le nommer. Il était donc difficile d’aller à contre-courant, la carrière de certains en a été fortement ralentie alors qu’ils faisaient du bon travail.

En 2002, je découvre l’existence de l’association Reconstruire l’école (où les instituteurs étaient rares), à laquelle j’adhère dans la foulée. Je crée à la fin de l’année le site appy.ecole qui eut très vite un nombre honorable de visites. Peu de temps après, je rejoignis également Sauver Les Lettres, collectif qui me semblait avoir plus d’ambitions modernes que Reconstruire l’école.

L’adhésion à Sauver Les Lettres me conduisit, à l’automne 2005, à m’abonner à SauvPrim, une liste de diffusion qui allait déboucher sur la création du projet SLECC (Savoir Lire Écrire Compter Calculer), conduit par le GRIP (Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes). Je lisais les contributions des uns et des autres, et j’en faisais moi-même, dont la plus notable fut la mise en ligne sur appy.ecole des programmes du Primaire parus depuis 1968 et qui n’existaient pas sur Internet. Souffrant d'un climat détestable permanent, cette liste de diffusion ressassait systématiquement des partis-pris traditionalistes et une nostalgie pour l'école d'autrefois (Ah, les programmes de 1923 !). Or, il m’apparut très vite que le problème du Primaire de ce début du XXIe siècle était plus dans les façons d’enseigner que dans les programmes. D’autant plus que, comme soutiers de base du système éducatif, nous n’avons aucune prise sur les programmes (qui nous sont imposés), alors que nous gardons une relative liberté pédagogique sur les méthodes d’enseignement que nous mettons en œuvre en classe. Dès lors, il me semblait plus utile d’agir sur l’efficacité de nos pratiques plutôt que de poursuivre des chimères de programmes qui n'auraient forcément aucun lendemain officiel.

J’exprimais donc benoîtement ce point de vue, mais il suscita d'emblée un tollé et me valut des inimitiés tenaces et une hostilité durable. Delord, un des chefs du GRIP, me balança : « Ici, c’est le GRIP et non le GRIM ! » (avec le P de programmes et non le M de méthodes). Il est vrai que la plupart des membres du GRIP, enseignant dans le Secondaire, n’avaient que de vagues idées en matière pédagogique. Quand on considère que « la pédagogie est un art » (sic), on se prend plus pour un artiste inspiré par les muses que pour un professionnel maîtrisant des techniques. Dans le lot, il s’en trouvait même qui étaient des nostalgiques de Freinet, pourtant parangon officiel de l'enseignement constructiviste. Et pour couronner le tout, la pédagogie intuitive fut par la suite érigée en dogme, puisque tirée du vieil évangile de saint Ferdinand Buisson, alors qu'elle portait déjà en germe toutes les dérives constructivistes qui allaient suivre.

Heureusement, peu de temps après, au printemps 2006, Françoise et moi, nous découvrons un peu par hasard un fascicule intitulé Quelles sont les pédagogies efficaces ? - Un état de la recherche, et publié par la Fondapol suite à une conférence donnée à Paris par Clermont Gauthier l'année précédente. 





Tout devint alors limpide ! Nous avions trouvé ce que nous cherchions depuis des années : une assise théorique solide, reposant elle-même sur des données probantes incontestables, tirées d’enquêtes à grande échelle.

Les travaux de Barak Rosenshine ont mis très précisément 20 ans pour parvenir en France. Et ce, grâce aux Canadiens Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard qui devinrent très vite nos amis.

Non seulement, nous retrouvions tout ce que nous avions mis des années à concevoir pour dispenser un enseignement efficace à nos élèves, mais il y avait aussi des procédures auxquelles nous n’avions pas pensé et qui fonctionnèrent à merveille sitôt mises en œuvre dans nos classes. Nous découvrions ce qu'on appelle le savoir d'action pédagogique.

J’abandonnais alors le nid de frelons du SLECC-GRIP sans aucun regret. J’appris par la suite, sans surprise, que ce groupement avait connu bien des vicissitudes, avec une scission de plusieurs membres ayant rallié SOS-Éducation, des exclusions fracassantes (dont celle du fondateur Delord) et les démissions retentissantes de membres historiques…

Le 18 juin 2006, Françoise et moi lancions un appel (c’était le jour idéal !) sur le site appy.ecole annonçant la création d’une liste de discussion réservée aux (seuls) instituteurs intéressés par la pédagogie explicite. Un an après, à l’été 2007, nous créions l’association “La 3e voie…” afin d’être reconnus par le ministère et de lui demander une subvention pour amplifier notre action. La suite est relatée à cette page consacrée à “La 3e voie…”.


Depuis l’automne 2010, nous avons repris notre totale liberté en continuant avec le site Form@PEx qui est devenu depuis la référence en langue française pour l’Enseignement Explicite (reconnue même par l'Inspection générale).

Durant ces dix années, l’Enseignement Explicite a fait son chemin en France. Si, en 2006, personne ne connaissait son existence et n’en avait jamais entendu parler, aujourd’hui nombreux sont ceux qui disent s’y intéresser voire y recourir. Grâce à notre action au fil des ans, ce courant pédagogique est désormais connu et reconnu.

Notre ambition désormais est que l’Explicite devienne à terme une composante importante et structurante du paysage pédagogique français…

2 commentaires:

  1. Bernard,

    cet article est pour moi l'occasion de vous remercier, Françoise et toi, de l'énergie que vous avez mise en œuvre depuis dix ans pour faire connaître la Pédagogie Explicite. Sans vous, je serai encore en train de tâtonner, cherchant des méthodes d'enseignement fonctionnant en classe... car j'avais bien vu que la pédagogie enseignée dans les IUFM (remplacés par les ESPE) était laborieuse à mettre en place, et n'aboutissait pas aux résultats escomptés.

    J'ai adhéré à l'association “La 3e voie…” de 2007 à 2010. Ces années furent extrêmement riches en lectures, échanges et mises en pratique de méthodes dont vous faisiez la promotion. J'avais perdu confiance en moi, j'ai retrouvé de l'assurance dans ma pratique professionnelle. Il m'apparaissait également que beaucoup plus d'élèves progressaient dans les apprentissages, alors qu'auparavant j'en embrouillais certains dès le départ par une situation problème, voire un jeu de devinettes.

    Que votre présence sur la toile soit encore longue, qu'elle permette encore à de nombreux enseignants de s'intéresser à l’Enseignement Explicite et les incite à le mettre en œuvre dans leur classe.

    Yannick FAUCHEY

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  2. Merci Yannick pour ce gentil commentaire !

    Françoise et moi t'envoyons toute notre amitié.

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