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samedi 30 janvier 2016

Les garçons, sexe faible à l’école



Entretien avec Jean-Louis Auduc


À paraître (février 2013) : Jean-Louis AUDUC, École : la fracture sexuée, Faber, 108 p.


Les garçons échouent davantage que les filles scolairement. Mais au final n'est-ce pas eux que l'on retrouve dans les meilleures filières ?

 Aujourd'hui on voit bien qu'il y a une mutation dans l'orientation. C'est ce que montrent les travaux de Françoise Vouillot pour l'INETOP. Elle dit que c'est une erreur d'avoir fait campagne sur l'orientation des filles alors que ce sont les garçons qui fuient certaines filières parmi les plus rentables, comme la médecine, la magistrature ou la pharmacie. Cela crée une situation de fracture sexuée des métiers que l'on n'a jamais connue.
Aujourd'hui en série S, on a globalement une parité garçons filles. Mais c'est l'option qui différencie. Le débat n'est plus entre lettres et sciences mais dans les sciences, entre les métiers qui s'occupent de l'humain et les métiers de techniciens. Par exemple en médecine, les filles représentaient 40 % des doctorants alors qu'elles sont les deux tiers aujourd'hui. On a des mutations de métiers et ce qui m'inquiète, c'est qu’on ne s'en inquiète pas !
En même temps on observe une moindre rentabilité du diplôme chez les filles. À diplôme égal, elles choisissent davantage l'emploi salarié, pour des raisons familiales, là où les garçons vont choisir davantage des professions libérales. Avec ces choix, l'écart de revenu augmente.

C'est un phénomène général ou français ?

C'est un phénomène français. Je le montre bien à partir de PISA 2012 où la France a gommé une partie du rapport de l'OCDE qui disait que la faiblesse de la France c'est la triple fracture sociale, ethnique et de genre. On est le pays qui a le plus augmenté la fracture sexuée depuis 2000, de 29 points à 44. Il y a une cécité française sur cette question. J'ai écrit ce livre parce qu'on refuse de mettre cette différence à jour alors qu'elle conduit à une situation d'échec pour les garçons. On continue de parler d'élèves asexués à propos du décrochage ou de la lecture alors que les difficultés concernent les garçons. Le garçon est confronté à des femmes à l'école. L'identificateur garçon est absent ce qui laisse les garçons en proie à de mauvais bergers. En ne traitant pas cette question, on les conforte. C'est ce que montre le rapport Trajectoires de l'INED  publié en janvier qui montre bien les différences garçons-filles.

Si on regarde les causes, c'est lié à la féminisation de l'enseignement ?

Non. C'est lié au fait qu'aujourd'hui il y a une différence d'attitude fille-garçon dans les familles traditionnelles avec le garçon petit-roi qui va refuser à l'école la correction alors que la fille l'accepte. Ça a été étudié dans les pays scandinaves. Ils travaillent cela à l'entrée dans l'école avec les garçons pour leur expliquer que se tromper fait partie du processus scolaire. Le fait en France de considérer l'erreur comme un péché pénalise les garçons sur les premières années.
Il y a un autre moment difficile pour les garçons au moment de l'entrée au collège. Entre 10 et 13 ans le garçon ne sait pas s'il est un enfant ou un ado. On n’a aucune gestion de la sortie de l'enfance et ça pèse sur les garçons. Les violences scolaires sont un rite initiatique comme le dit Sylvie Ayral. Il y a un vrai problème d'indifférenciation des sexes et de confusion des âges. Cela génère une crise d'identité chez les garçons. La solution serait d'avoir un rite solennel de sortie de l'enfance.  Je le propose à l'entrée en 5e.
L'identification c'est le troisième problème. Si ça ne concernait que les professeures, ça ne serait pas grave. Mais tous les métiers en rapport avec le quotidien se sont féminisés. On a des identificateurs pour les filles (médecin, pharmacienne, copsy, etc.) et pas pour les garçons. Il faudrait donc pour certains métiers avoir des actions spécifiques pour les garçons.

Vous proposez de différencier la pédagogie. C'est-à-dire ?

Aujourd'hui il y a 98 % de garçons dans les structures de remédiation. Il faut faire en sorte que, comme dans les pays scandinaves aux moments clés, il y ait une légère différenciation pédagogique. Il faut qu'on ait 2 ou 3 heures par semaine de soutien scolaire préventif. C'est ce qui se fait en Suède ou en Écosse. Par exemple des concours lecture à 8 ans pour leur montrer que la lecture n'est pas réservée aux filles. Un rapport de l'Inspection générale en 2013 a mis en cause cette indifférenciation au genre. Il dit qu'on n'a pas pensé la mixité.
Si on veut défendre la mixité il faut se demander si une ou deux heures où on sépare garçons et filles ne seraient pas nécessaires pour l'apprentissage de la lecture ou l'orientation par exemple. Je suis pour une mixité pensée et gérée, en s'appuyant sur les expériences de certains pays. En Suède par exemple on a un concours spécifique pour qu'il y ait au moins un homme dans chaque structure préélémentaire.

Dans les pays anglosaxons se répand l'idée d'avoir des écoles pour filles et des écoles pour garçons. Qu'en pensez-vous ?

C'est la dérive que je veux éviter. Les études disent que ça ne résout pas les problèmes mais conforte les stéréotypes.

Comment expliquer la cécité française ?

On n'a pas pensé la mixité. On a eu une vision économique. Et puis l'indifférenciation allait mieux avec la vulgate républicaine. Toute une série de questions qui renvoient à l'environnement social et culturel de l'enfant n'a pas été prise en compte à l'école. Et ça continue. On continue à dire qu'il y a 140 000 décrocheurs alors que ce sont aux trois quarts des garçons. De même, on n'aborde pas la question pour l'apprentissage de la lecture. Je fais connaître toutes les recherches qui existent et qui se heurtent à la cécité.

C'est une question que vous avez soulevé au ministère ?

Oui. J'avais demandé en 2011 qu'il y ait dans la circulaire de rentrée la demande de bilans présentés par genre dans les établissements scolaires. Les établissements qui l'ont fait ont montré des choses très riches. Par exemple, dans un établissement il y a 8 filles pour 1 garçon dans les emprunts au CDI. Aujourd'hui le texte existe toujours mais il est tombé dans l'oubli. Et puis la question de l'ABCD de l'égalité a contribué à enterrer cette question.

Propos recueillis par François Jarraud

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