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jeudi 24 décembre 2015

Pour un renouveau pédagogique (MRC)

Source : Site du MRC

Pourquoi les Républicains doivent s'emparer de la pédagogie

Estelle Folest




Traditionnellement, les Républicains défendent la liberté pédagogique de l'enseignant, à savoir la liberté de choisir les moyens, les outils et la méthode qu'ils jugent les plus  appropriés pour atteindre les objectifs fixés par les textes officiels. Attachée à la maîtrise des contenus disciplinaires, la sensibilité républicaine laisse ainsi de côté la question de la méthode pédagogique, jugée secondaire voire accessoire. Or, refusant de considérer qu'il y a une bonne pédagogie et n'en promouvant aucune, nous avons laissé les pédagogues impérialistes à la Meirieu, sacrifiant au culte de la “construction” des enfants, emplir l'espace vacant avec les résultats que l'on connaît. On ne peut séparer les objectifs des voies pour les atteindre et, comme le montre l'apprentissage de la lecture à l’école élémentaire, s'il n'y a pas de "pédagogie miracle" ou unique qui permette d'améliorer l'enseignement et l'apprentissage des élèves à tous les coups, certaines pédagogies ont fait leur preuve, d'autres sont manifestement inadaptées.

Parce qu'une bonne méthode d'enseignement peut améliorer la qualité de l'apprentissage des élèves et le niveau des compétences atteintes, il est temps pour les Républicains de s'emparer de la pédagogie. Il s'agit d'abord de rétablir la possibilité du débat soigneusement étouffé par le sectarisme constructiviste qui enserre le monde de l'éducation et de promouvoir des pratiques efficaces.

Depuis 20 ans, l'échec des pédagogies d'inspiration constructiviste est établi, en particulier lorsqu'il s'agit d'élèves issus de milieux défavorisés.

Les théories constructivistes orientent trop souvent les pratiques pédagogiques des enseignants. Inspirées des écrits de Piaget et de Vygotski mâtinés de Bourdieu, dont les propos sont souvent détournés par ailleurs, ces pédagogies dites ouvertes ou de découverte placent “l'élève au centre de l'enseignement”. Elles partent du principe qu'il n'y a de savoir que construit par un élève autonome, l'enseignant étant avant tout chargé de lui “apprendre à apprendre”. Or, ces pédagogies ont révélé leur inefficacité : outre les résultats édifiants dont témoignent les enquêtes PISA en matière d'acquisition des compétences fondamentales, les pédagogies constructivistes ont été évaluées notamment par des chercheurs américains et canadiens, qui ont montré qu'elles ne produisaient pas les résultats escomptés en particulier auprès des élèves issus de milieux socioculturels défavorisés.

Depuis plus de 20 ans, la recherche scientifique évaluative souligne l'échec de ces pédagogies ouvertes dans les pays de l'OCDE (la Finlande faisant a priori exception en Europe) comme en Afrique. Aux États-Unis, la question des pédagogies et du rôle du maître dans la classe a fait l’objet de recherches de grande ampleur et mobilisé les chercheurs autour d’un projet intitulé Follow Through, la plus vaste expérimentation à grande échelle réalisée dans l'éducation dans les pays de l'OCDE. L'objectif premier de ce projet était de déterminer les composantes de l’efficacité dans l’enseignement. Plus spécifiquement, les chercheurs ont analysé l'efficacité de plus de 20 pratiques pédagogiques appliquées auprès d'élèves issus de milieux défavorisés, ces pratiques se divisant en 2 grandes catégories : approches structurées (modèles dits “académiques”) ou centrées sur l'élève (modèles “cognitivistes”, “constructivistes” ou encore “affectifs”). La recherche a porté sur un groupe de 350 000 élèves, les observations détaillées sur environ 70 000 élèves entre 1968 et 1982, et par la suite, plus de 200 études ont analysé les résultats obtenus, entrepris leur suivi et poussé les recherches [1]. De ces travaux il ressort toujours la même conclusion : « Les modèles académiques, tous centrés sur les contenus à enseigner/apprendre, obtiennent, en général, des performances plus élevées [...] que les approches pédagogiques centrées sur l'élève » [2]. Dans un autre domaine de recherche scientifique, celui de la psychologie cognitive, les chercheurs ont fait des découvertes sur le fonctionnement du cerveau humain en situation d’apprentissage et ils montrent également l'échec des pédagogies centrées sur l'enfant. Ainsi Stanislas Dehaene, chercheur et professeur en psychologie cognitive au Collège de France, dans un ouvrage intitulé Les neurones de la lecture, souligne leur échec systématique dans l'apprentissage de la lecture [3].

Bien entendu, tous les chercheurs ne partagent pas ces conclusions et il faut se garder d'opposer un sectarisme à un autre si l'on veut vraiment rouvrir un débat aujourd'hui impossible. En outre, il se pourrait que la pédagogie soit un savoir-faire en partie empirique, autrement dit un “art” sur lequel la science n'a pas totalement prise. Il n'en reste pas moins que le bon sens s'impose à tous : à quelques exceptions près, force est de constater que les pédagogies inspirées du constructivisme ne sont pas de nature à améliorer l'apprentissage et l'enseignement pour tous, bien au contraire.

Les adeptes du constructivisme ont contribué à la baisse du niveau général et au renforcement des inégalités à l'école.

Ils considèrent que tout ou presque réside dans la pédagogie. Les connaissances évoluent si vite, disent-ils, qu'il vaut mieux et d'abord apprendre la méthode, ou “apprendre à apprendre”, comme le recommandait Jacques Delors [4]. Quitte à ne plus rien apprendre du tout. En faisant de la méthode le fondement même de l'enseignement, les pédagogistes ont minoré le poids des savoirs et entraîné l'allègement constant des programmes comme l'érosion des contenus disciplinaires. Or, l’école républicaine ne doit pas priver les élèves des savoirs indispensables à leur avenir.

Ils envisagent l'autonomie de l'élève à la fois comme une fin et comme un moyen.
Autrement dit, l'enseignant conduit les élèves déjà autonomes à être encore plus autonomes ! L'école a bien pour mission de former des citoyens autonomes car éclairés, mais les élèves ne sont pas nés autonomes. L'autonomie s'acquiert. Le rôle et la place de l'enseignant sont fondamentaux dans la transmission des savoirs et l'acquisition progressive de l'autonomie. Enfin, si l'on s'en tient au plan pratique, l'idée d'un élève autonome qu'il faudrait accompagner dans la découverte des savoirs suppose un fort taux d’encadrement : les enseignants doivent en effet stimuler les élèves constamment pour les conduire à la “construction du savoir” et l'encadrement doit être d'autant plus serré qu'ils sont issus de milieux socio-culturels défavorisés. Or, dans la réalité des faits, une classe de primaire en France compte rarement moins de 22 élèves, y compris dans les établissements sensibles. Il faudrait probablement multiplier le nombre de maîtres par 4 ou 5 pour obtenir les conditions matérielles nécessaires à une telle approche pédagogique, mais même dans ces conditions optimales, il est illusoire de penser que l'élève bien encadré découvre spontanément, aussi rapidement et aussi profondément qu’il eût fallu, les règles du participe passé ou celles de la division.

Promouvoir les pédagogies structurées.

Les tenants des pédagogies structurées placent la transmission des savoirs au cœur du système quand les constructivistes se concentrent sur l'élève “en découverte” ou “en construction”.

Les recherches ont montré l'efficacité des pédagogies structurées, en soulignant que les gains d’apprentissage pour les élèves sont nettement plus élevés que ceux obtenus par l'application des pédagogies de découverte. Ce constat vaut pour tous les élèves. Ces recherches mettent toutes en évidence la nécessité d’organiser la pédagogie de façon à ce que les notions soient enseignées de façon structurée et progressive, en partant du simple vers le complexe (pédagogie structurée : enseignement explicite et systématique, instruction directe), et non l’inverse (pédagogie ouverte, implicite). C'est aussi le constat que font beaucoup de professeurs.

Compte tenu de la mainmise des “pédagogistes” sur le monde de l'éducation, seule une volonté politique forte pourra rouvrir le débat sur les méthodes pédagogiques, lequel ne sera rétabli qu'à la faveur d'une analyse préalable rigoureuse et exhaustive des dégâts du constructivisme. Les responsables politiques en général et les Républicains en particulier doivent ainsi s’efforcer de mettre fin à des pédagogies actuellement majoritaires, mais dont la pertinence est faible, en leur opposant des pédagogies plus efficaces. Attaquer les méthodes inspirées du constructivisme ne suffit pas car l'absence de proposition alternative – au nom de la liberté pédagogique ou contre l'idée même de pédagogie – conduit, fût-ce indirectement, au triomphe des pseudo-pédagogues. Poussé par les mouvements antipédagogistes, Xavier Darcos ne s'est-il pas désengagé de la querelle entre tenants de la méthode globale et ceux de la syllabique au nom de la liberté pédagogique ? « Je ne suis pas le ministre des méthodes, mais celui de l'évaluation des résultats des élèves », tranche-t-il dans un entretien donné au Monde du 24 octobre 2007. En attendant, la chapelle constructiviste, qui maintient une forte emprise sur les sciences de l'éducation et la formation des enseignants, dénigre les résultats de la recherche dès lors qu’ils ne sont pas conformes à ses vœux.



- ALTSCHULL, Elizabeth, "Face à la dérive pédagogiste, transmettre et innover", in Pas de "société du savoir" sans école, Fondation Res Publica, Actes du colloque du 4 avril 2006, p.19-34
- BLOCH, Daniel, École et démocratie : Pour remettre en route l'ascenseur économique et social, Presses Universitaires de Grenoble, 2010, 128p.
- BONREPAUX, Christian, “La liberté pédagogique, réelle ou formelle ?”, article du Monde de l'éducation N°369, mai 2008. http://www.3evoie.org/telechargementpublic/media/20080500a.pdf
- BRESSOUX, Pascal, “Les recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres”, Revue Française de Pédagogie, N°108, 1994, p.91-137.
- DEHAENE Stanislas, Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2007, 478p.
- DELORS, Jacques ed., L'éducation : un trésor est caché dedans, Rapport à l'UNESCO de la commission internationale sur l'éducation pour le vingt et unième siècle, Paris, UNESCO, 1996.
- GAUTHIER, Clermont, Steve Bissonnette et Mario Richard, “Quelle pédagogie au service de la réussite de tous les élèves? Un état de la recherche”, in Un enseignement démocratique de masse, une réalité qui reste à inventer, M. Frenay et X. Dumay eds., Louvain-La-Neuve, Belgique, Presses Universitaires de Louvain, 2008, p.363-384.
- GAUTHIER, Clermont, Steve Bissonnette et Mario Richard, “L'enseignement explicite”, in Enseigner, Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle eds., Paris, PUF, coll. "Apprendre", 2007, p.107-116.
- GAUTHIER, Clermont, Steve Bissonnette, Mario Richard et Francis Djibo, “Pédagogies et écoles efficaces dans les pays développés et en développement - Une revue de littérature”, préparé pour la Biennale de l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique (ADEA), 2003.
GAUTHIER, Clermont et Martial Dembélé, en collaboration avec Steve Bissonnette, Mario
Richard, “Qualité de l’enseignement et qualité de l’éducation : revue des résultats de recherche”, Document préparé pour le Rapport mondial de suivi de l'Éducation pour Tous 2005, UNESCO, avril 2004. 
WILLINGHAM Daniel T. et Marie Antilogus, Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école, (2009), Paris, La Librairie des écoles, 2010, 213p.





[1] . Les plus vastes et significatives de ces études sont le NRP (National Reading Panel, États-Unis, 2000), le NLP (National Literacy Panel, États-Unis, 2008) et le NMP (National Mathematical Panel, États-Unis, 2008).
[2] . Clermont Gauthier et Martial Dembélé, en collaboration avec Steve Bissonnette, Mario Richard, Qualité de l’enseignement et qualité de l’éducation : revue des résultats de recherche, Document préparé pour le Rapport mondial de suivi de l'Éducation pour Tous 2005, UNESCO, avril 2004.
[3] . Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2007, 478 p.
[4] . Selon le rapport Delors de 1996, les quatre piliers de l'éducation sont les suivants : Apprendre à connaître, apprendre à apprendre ; Apprendre à faire ; Apprendre à vivre ensemble, apprendre à vivre avec les autres ; Apprendre à être, in Jacques Delors ed., L'éducation : un trésor est caché dedans, Rapport à l'UNESCO de la commission internationale sur l'éducation pour le vingt et unième siècle, Paris, éditions UNESCO, 1996, part. 2, "Les quatre piliers de l'éducation".

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