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mardi 4 février 2014

Sciences de l'éducation : quelle utilité ?

Entre laboratoire et terrain : comment la recherche fait ses preuves en éducation

Olivier Rey

Dossier de veille de l'IFÉ, n° 89
01.2014 




L’IFÉ (ex-INRP) n’aime pas les instructionnistes, la pédagogie explicite et tout ce qui se réclame de l’efficacité en enseignement. Et le fait subtilement savoir à chaque nouvelle parution. Celle-ci n’échappe pas à la règle.

Dans cette étude, Olivier Rey part des résultats décevants du dernier PISA pour concéder qu’ « il devient dès lors stratégique de disposer d’une recherche en éducation forte, bien structurée et apte à fournir aux praticiens comme aux décideurs de politique publique des éclairages sur les questions cruciales d’éducation ». C’est bien notre point de vue.

Mais l’auteur ajoute aussitôt : « C’est là que le bât blesse… ». Car, comme tout le monde, il constate que « les sciences de l’éducation, cadre disciplinaire censé rassembler les recherches dans ce domaine, ont en effet une piètre réputation dans le monde universitaire comme dans de nombreux cercles politiques et médiatiques, et au sein même du système éducatif. »

Et pour illustrer cette mauvaise réputation, Olivier Rey rappelle «  la façon dont les IUFM ont été brocardés, puis “supprimés” dans un discours présidentiel, comme la dissolution de l’Institut national de la recherche pédagogique (INRP) dans l’indifférence générale en 2010, est symptomatique de cet état d’esprit ».

À qui la faute ?

Depuis une quarantaine d’années, les sciences de l’éducation sont la chasse gardée des constructivistes en tout genre, et surtout des plus radicaux. Les IUFM ne formaient les enseignants qu’à cette démarche pédagogique, et malheur à ceux qui ne s’y soumettaient pas. On parlait à juste titre de « formatage idéologique », sans le moindre rapport avec la réalité du métier, des classes et des élèves. Au terme de cette “formation”, les enseignants n’avaient plus qu’à tout oublier s’ils voulaient enfin être efficaces et il ne leur restait plus qu'à se former sur le tas… au détriment des cohortes d’élèves qui se voyaient sacrifiées dans les premières années de leur carrière. Un scandale absolu ! Aussi, lorsque les IUFM ont été supprimés, les seuls qui ont versé des larmes étaient les formateurs bien installés dans ce fromage. Mais je conviens que la suppression n’était pas la solution, loin de là. Quand un médecin a affaire à un malade, il ne doit pas lui venir en aide par l’euthanasie. Il fallait réformer les IUFM en commençant par virer tous les “formateurs” incompétents et par instaurer la pluralité dans l’apprentissage des démarches pédagogiques.

Quant à la dissolution de l’INRP, on peut dire que les mêmes causes engendrent les mêmes effets. Un discours à sens unique, systématiquement favorable au constructivisme, a fini par lasser tout le monde sauf une petite coterie de convaincus. Pourtant le “RP” du sigle signifie “recherche pédagogique” : on aurait aimé là aussi un peu plus de pluralisme et un peu moins de parti pris.

Remarque incidente en forme de consolation pour l'auteur : les IUFM et l’INRP ont certes été supprimés, mais les ESPÉ et l’IFÉ les ont fait renaître de leurs cendres peu de temps après. Et avec les mêmes !

Sur le terrain, les collègues instituteurs et professeurs des écoles ont, pour la plupart, été littéralement dégoûtés par les discours abscons entendus dans les animations pédagogiques ou à l’IUFM, que ce soit en formation initiale ou continue. Qui n'a pas connu les travaux en groupe où on nous laissait patauger en toute orthodoxie constructiviste ? Résultat : rien ne pouvait être réinvesti le lendemain dans sa salle de classe. Et si on essayait, cela foirait immanquablement. À de rares exceptions près : il paraît que maintenant certains formateurs se mettent à l’explicite, sans avoir peur d'être dénoncés !

Tout cela a abouti à un comble : les praticiens ne veulent plus entendre parler de pédagogie. Même lorsqu’on leur explique que certaines recherches en sciences de l’éducation peuvent servir, qu’il existe des chercheurs sérieux et des études performantes qui nous offrent une assise théorique solide et documentée. Cette allergie aux sciences de l’éducation et à la pédagogie, nous la ressentons vraiment avec Form@PEx dont l’objet est justement de mettre à la disposition de nos collègues praticiens ce que la recherche produit de plus intéressant et de plus efficace à mettre en œuvre en classe.

De son côté, Olivier Rey écrit : « Au-delà des procès idéologiques, une autre façon d’aborder la question est apparue plus récemment en France, consistant à opposer ce qu’on estime être la recherche traditionnelle en éducation et les “recherches scientifiques” qu’il faudrait développer ». Moi, j’aurais parlé de “recherches bidon” et de recherches sérieuses, en mettant des guillemets aux premières et pas aux secondes. Pour les distinguer les unes des autres, rien de plus simple : on utilise la taxonomie d’Ellis et Fouts (dont l’étude qui nous occupe ne pipe mot).

Olivier Rey connaît bien, lui aussi, la différence entre ces deux types de recherche : « Il y aurait d’un côté les recherches “scientifiques” qui reprennent très précisément les protocoles des sciences expérimentales et miment autant que possible la situation du laboratoire (avec groupe témoin, variables contrôlées, etc.), et de l’autre côté les recherches “idéologiques”, qui prôneraient des méthodes basées sur des convictions militantes sans “preuves” scientifiques ». Un bel exemple de ces recherches idéologiques basées sur des convictions militantes nous est offert par le travail d’Yves Reuter sur les miracles accomplis par la pédagogie Freinet dans un quartier de la banlieue de Lille.

Pour bien flétrir les recherches scientifiques, on parle de « positivisme ». Exemples : « on constate sur ces questions une tendance assez forte au positivisme », « une certaine dérive positiviste ». En ajoutant : « comme si certaines méthodes expérimentales offraient des raccourcis pour un accès immédiat au “réel”, débarrassé de toute valeur ou idéologie ». 

À ce stade, pour remettre les choses en ordre, je préfère laisser la parole à Gauthier et al. (2013) : 
« En éducation, il nous manque la plupart du temps des données, des preuves, des études rigoureuses ; conséquemment, chacun se laisse happer par l'air du temps, la mode, ce qui est populaire et dominant. À cet égard, on observe un phénomène assez courant que l'on appelle la “circularité des références”. Un certain nombre de penseurs de l'éducation, assez prolifiques et connus d'ailleurs, se citent mutuellement. Ce phénomène de citations en boucle crée une sorte d'effet de science et fait passer pour de la recherche ce qui n'est en réalité qu'une espèce de mantra pseudo-scientifique, c'est-à-dire de simples opinions reprises de multiples fois par ces stars de l'éducation et qui produisent, par leur récurrence, un effet de vérité trompeur. Par exemple, la plupart des auteurs francophones en éducation qui affichent l'étiquette “constructiviste” prennent appui sur les mêmes références, se renvoient l'ascenseur et se citent mutuellement. On cherche en vain des preuves empiriques et des données probantes et, au bout du compte, on en arrive progressivement à la conclusion qu'elles n'existent tout simplement pas. »
Pour Olivier Rey, « la recherche en éducation doit par conséquent toujours osciller entre chercher à s’approcher le plus possible du Vrai, scientifiquement étayé, et du Bien, qui est affaire de valeurs et d’éthique, sans se replier ni sur l’un ni sur l’autre ». Décryptons : nous avons le camp du Vrai (les instructionnistes) et le camp du Bien (les constructivistes). Hélas pour ces considérations simplistes, depuis le projet Follow Through, on sait que l’on peut faire à la fois du Vrai et du Bien grâce à une pédagogie explicite qui facilite les apprentissages et favorise la réussite, ce qui augmente mécaniquement l’estime de soi.

L’auteur définit parfaitement l’Evidence-Based Education (EBE) :
«  Le concept recouvre trois objectifs distincts bien qu’étroitement liés par les promoteurs de l’EBE :
− baser les politiques et les pratiques éducatives sur les résultats (« preuves ») de la recherche ;
− améliorer pour ce faire la qualité scientifique de la recherche en éducation et en particulier sa capacité à fournir des résultats probants de nature causale sur les activités éducatives (telle intervention produit tel effet) ;
− privilégier des méthodologies répondant à cet objectif, notamment les démarches expérimentales (ou quasi expérimentales) ainsi que les “revues systématiques de recherches” (ou méta-analyses). »

Il précise même, très justement, que « l’EBE est en effet le double produit d’une critique, souvent virulente, de la recherche en éducation traditionnelle et de l’ambition de reproduire dans le champ de l’éducation des méthodes utilisées dans le champ des sciences naturelles, et particulièrement de la médecine ». À ce propos, il rappelle ce que Slavin disait : « La révolution scientifique qui a profondément transformé la médecine, l’agriculture, les transports, la technologie et d’autres champs au cours du XXe siècle a laissé complètement intact le champ de l’éducation ». Hélas...

À la fin de son étude, Olivier Rey s’intéresse au problème de l’étanchéité entre le monde de la recherche et le monde des praticiens. Il essaie de répondre à la question de savoir d’où viennent les convictions des enseignants. Selon lui, « les enseignants agissent plus sur la base de croyances fondées sur leur expérience que de connaissances produites par la recherche ». Et pour cause ! Ils ont une indigestion de « connaissances produites par la recherche » qui ne leur ont servi à rien dans la pratique concrète de leur métier... ou qui les a noyés dans des pratiques complètement inefficaces dans le pire des cas. Quand la recherche conduit au burn-out, on évite de s’y intéresser !

Le malheur, c’est que les enseignants jettent le bébé avec l’eau (sale) du bain. Les données probantes validées par des travaux sérieux, solides et tangibles, sont ignorées. Beaucoup “bricolent” leurs solutions avec quelques recettes glanées sur Internet. Sans se poser la question de la philosophie éducative (constructivisme ou instructionnisme ?), sans donner de la cohérence à leur pédagogie en fonction de ce choix initial (en mélangeant des pratiques traditionnelles et de découverte), sans pouvoir justifier la base théorique des démarches qu’ils mettent en œuvre en classe (ni auprès de la hiérarchie, ni auprès des parents d’élèves).

Le site Form@PEx entend faire un travail de diffusion et de vulgarisation des résultats de la recherche sur l’efficacité en enseignement. Il joue donc le rôle d’intermédiaire entre recherche et praticiens. De fait – comme nous l’apprend cette étude – avec Form@PEx, nous assumons 8 missions :
« − faciliter les relations entre les différentes parties prenantes en recherche et en éducation ;
− accroître la visibilité des résultats de la recherche ;
− améliorer l’accessibilité des recherches par des formats adaptés ;
− accroître l’implication dans la recherche par différents modes ;
− influencer les politiques publiques ;
− développer la capacité à intégrer les recherches ;
− aider l’implantation des résultats de recherche et le développement organisationnel. »

Du moins, nous essayons…

4 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je lis pas mal de choses sur la pédagogie explicite.

    J'aimerais savoir quelle organisation des tables préconise t elle ?

    et également comment s'organiser efficacement pour la correction du travail des élèves et le suivi de ce travail?

    Merci .

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    1. Bonjour,

      Merci pour votre intérêt pour la Pédagogie Explicite. En choisissant cette démarche d’enseignement, vous êtes sur la bonne voie !

      Pour répondre simplement (et rapidement) à vos deux questions :
      - la disposition des tables doit être la plus ergonomique possible de manière à permettre aux élèves de voir le tableau sans difficulté, tout en pouvant travailler en enseignement réciproque durant les exercices d’entraînement de pratique guidée et de pratique autonome ;
      - la rétroaction est immédiate lors de la pratique guidée ; lors de la pratique autonome, la correction doit être faite oralement sitôt le travail terminé, la correction écrite peut se faire avant la leçon suivante pour remettre en tête ce qui avait été vu la fois précédente (ce qui laisse le temps à l’enseignant de corriger convenablement les travaux rendus).

      Pour mettre en place l’enseignement explicite en classe, je vous recommande la lecture préalable de cet article et plus généralement de visiter les documents disponible sur le site Form@PEx.

      Bonne continuation.

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    2. Merci de votre réponse.

      Je souhaite surtout avoir une classe où les élèves ont une rétroaction importante sur leur travail soit par des pairs soit par l'enseignant.

      Mon objectif était de mettre les élèves en ilôts en travail pratique autonome.
      Sur le modelage ca aurait été plutot sur un tapis pour les élèves et les mettre face au tableau.

      Sur l'ilôt, il y aurait 4 élèves d'après les études ca semblent 3 voir 4 le meilleur nombre d'élèves pour un ilot.
      4 responsables:
      - Un responsable consigne, à qui je prends du temps pour vérifier l'avancée du travail de son ilôts après la consigne. Vérifie la compréhension dans la tache

      - Un responsable correction, il corrige le travail avec des croix au crayon gris et la correction se fait par l'élève corrigé avec aide de son camarade. A la fin il marque sur feuille le degrès d'acquisition. L'élève peut avoir la feuille de correction

      - Un responsable propreté , il s'occupe des papiers, de ranger les casiers,

      - Un responsable organisation du travail, vérifier le bruit, le temps, ...

      Voila mon fonctionnement, mon objectif est d'etre le plus proche de la compréhension des élèves. Je trouve pas toujours évident d'avoir un suivi de tous ses élèves et savoir exactement où ils en sont à tels moments.
      Donc j'ai imaginé ce type de fonctionnement.

      Il faudrait maintenant que je trouve la même chose ailleurs qu'en étude de la langue et mathématiques.

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  2. Vous avez raison : la rétroaction immédiate est importante en Pédagogie Explicite, afin que l'erreur ne cristallise pas.

    Par ailleurs, il faut que le dispositif que vous décrivez vous convienne et colle à votre façon de faire classe, quitte à le réajuster au fur et à mesure de nouvelles idées. Il est impératif de se sentir à l'aise dans sa démarche.

    N'oubliez pas de bien expliquer aux responsables comment remplir correctement leur mission. En enseignement explicite, tout s'explique.

    Attention à maintenir un rythme soutenu à la leçon. Il faut que "ça pulse" !

    Cela devrait fonctionner...

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