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dimanche 8 septembre 2013

Une nouvelle vision de l’approche par compétences


 

Pour un enseignant explicite, une compétence est la conjonction d’une connaissance et d’une habileté. Par exemple, j’ai acquis une compétence géométrique quand je sais ce qui caractérise un triangle rectangle et que je peux en construire un. Ou alors, j’ai acquis une compétence méthodologique quand je sais qu’il faut une bonne organisation de travail et que je range mes affaires, chacune à sa place, afin de les retrouver aisément.

Cette définition évidente du mot compétence n’est hélas pas la seule qu’on peut lui attribuer. Ce qui laisse la porte ouverte à toute sorte d’interprétations.

Les unes vont dans le sens des entreprises qui ont besoin d’employés sortant de l’école nantis de certaines compétences directement utiles sur le plan économique. En oubliant un peu vite que l’École n’est pas au service de l’entreprise mais à celui de la société : son objet n’est pas de former des employés dociles et flexibles mais des citoyens éclairés et performants.

Les autres sont des interprétations faites par des partisans du constructivisme prêts à récupérer toute nouveauté pour montrer à quel point leur démarche pédagogique est en adéquation avec la modernité. En oubliant un peu vite que leur école “nouvelle” date maintenant d’un bon siècle, et que les pédagogies de découverte dont ils se réclament sont désormais reconnues contre-performantes sur le plan cognitif.

Le lecteur intéressé par la question de l'approche par compétences se reportera avec intérêt à un article récent, écrit par Olivier Rey, intitulé “Les compétences clés dans l’enseignement obligatoire en Europe : fantasmes et réalités pédagogiques” et disponible sur son site personnel.

Je ne retiendrai ici de cet article que la dernière partie, qui pose la question des implications pédagogiques de l’approche par compétences. Les conclusions que tire Olivier Rey sont surprenantes pour un chercheur de l’IFÉ (ex-INRP), organisme qui a toujours prôné le constructivisme pédagogique à l’exclusion de toute autre démarche. Et qui, sauf erreur, continue dans cette voie. Mais peut-être assiste-t-on à une révolution copernicienne ?

Voici cet extrait : les passages en gras l’ont été par moi pour attirer votre attention sur leur importance inattendue. Veuillez noter aussi le nombre de fois où le mot “explicite” et ses dérivés sont employés pour parler des procédures pédagogiques qui fonctionnent (travaux de Beckers et la réforme des Key Skills en Irlande).

« Ses détracteurs comme ses partisans soulignent fréquemment que le paradigme de l’approche par compétences porte en lui des conséquences importantes en matière pédagogique, peut-être de façon plus profonde qu’en matière de définition des sujets d’enseignement.
Une question centrale consiste en particulier à savoir si l’approche par compétences est un avatar de “pédagogie invisible”. Ce concept, dérivé des écrits du sociologue anglais Bernstein, est largement remis au goût du jour depuis quelques années pour qualifier certaines pratiques d’enseignement inspirées de ce que le sens commun nomme les pédagogies “nouvelles” en opposition aux méthodes plus traditionnelles de transmission des savoirs (apprentissage guidé, répétition, mémorisation…).
Les pédagogies nouvelles marqueraient en effet le passage du “code sériel” au “code intégré” pour reprendre la terminologie de Bernstein, avec un cloisonnement moindre des savoirs en disciplines, plus de travail en coopération, plus d’autonomie dans le travail de l’élève et une moindre grande distinction d’entre le champ scolaire et les autres champs sociaux de la “vraie vie”. On comprend facilement comment l’approche par compétences peut relever de cette famille du code intégré caractérisée par un cadrage plus lâche.
Or, divers travaux sociologiques ont montré ces dernières années que beaucoup d’enseignants pratiquent cette pédagogie “invisible” sans avoir conscience que cette dernière est lourde de malentendus pour les enfants les plus éloignés de la culture scolaire (c’est à dire le plus souvent les enfants d’origine populaire) et contribue à redoubler leurs difficultés d’apprentissage, à rebours des intentions de leurs auteurs (Bonnéry, 2007; Rochex & Crinon, 2011).
L’approche par compétences constituerait ainsi une méthode qui non seulement s’avérerait trop exigeante, par exemple en érigeant l’inédit et la complexité en norme (Crahay, 2006), mais qui en outre accentuerait les malentendus cognitifs liés à la pédagogie invisible. C’est ce que pointe en partie Mangez quand il constate que les écoles belges à recrutement social élevé, où les parents sont très présents dans la vie scolaire, sont restées attachées aux méthodes traditionnelles d’enseignement (avec un recours important aux notes par exemple) pendant que ce sont les écoles implantées dans les milieux plus défavorisés qui ont expérimenté le plus avant les approches par compétences (Mangez, 2008).
Pourtant, certains auteurs soulignent que les dérives en termes de pédagogie invisibles ne sont pas inhérentes aux approches par compétence. Beckers estime ainsi qu’on peut concilier l’enseignement par compétences avec des pratiques professionnelles comportant des formes d’étayages telles que :
- expliciter les attentes et les exigences du travail demandé ;
- donner des consignes qui mettent en évidence les enjeux cognitifs de la tâche;
- tisser explicitement la continuité des apprentissages ;
- prévoir des moments de réflexivité et d’institutionnalisation du savoir construit;
- travailler le transfert des apprentissages par décontextualisation/recontextualisation;
- respecter la cohérence dans l’évaluation;
- assurer une sécurité affective aux élèves avant de les lâcher dans une tâche complexe (Beckers, 2011).  
Un  écho à ces préoccupations peut être observé dans la réforme en cours des Key Skills en Irlande (O. Rey, 2013b). Sans qu’il soit possible de décrire ici le détail de cette réforme, on peut en retenir que cette politique représente un tournant réflexif dans l’enseignement en Irlande : les élèves sont constamment incités à réfléchir sur ce qu’ils apprennent et sur ce qu’ils ont appris, notamment dans le domaine des Key Skills ou compétences clés.
Ce tournant réflexif est accompagné d’une démarche générale de large explicitation des compétences auprès des élèves, des enseignants, des parents et des parties prenantes de l’école. Alors que dans certains pays on essaye de développer les compétences clés comme “tache de fond” sans les faire apparaitre dans les matières au quotidien, la stratégie irlandaise consiste au contraire à les populariser jusque dans la classe.
Les cours que nous avons observés, dans différentes matières, avaient ainsi comme points communs :
- une séquence d’explicitation formelle des objectifs de la séquence d’enseignant par l’enseignant au début du cours, avec un exposé des Key Skills (KS) qui seront travaillées à cette occasion ;
- un rappel des règles à suivre pour développer les KS, notamment en terme de participation dans le travail collectif (prendre la parole sans la monopoliser, changer de rôle régulièrement) ;
- le travail en groupe des élèves, que ce soit dans le cadre d’une manipulation pratique (ex. test de densité des liquides en physique-chimie) ou d’un travail sur les connaissances (ex. exposé sur les moines au Moyen-Âge) ;
- une attention portée à la prise de notes par les élèves, dans une perspective de communication (vers les autres élèves et vers l’enseignant) ;
- un moment de restitution collective (parfois avec exposé) ;
- un bilan  à la fin du cours reprenant ce qui a été appris et ce qui a été travaillé comme éléments des KS.
Dans ce cas de figure, les compétences sont ainsi utilisées comme moyen de modifier les pratiques pédagogique dans le sens d’un effort plus grand d’explicitation voire de cadrage des apprentissages, bien loin des caractéristiques de la pédagogie invisible ! »

Chacun aura reconnu les nombreux éléments empruntés à la Pédagogie Explicite dans ces démarches qui fonctionnent. Inutile d'insister...

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