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jeudi 30 mai 2013

Les attentes éducatives des familles (CIEP)




La Revue internationale d'éducation de Sèvres (n° 62, avril 2013) comporte un dossier sur les attentes éducatives des familles, que ce soit dans des pays développés (comme le Japon, l’Angleterre, la France, la Suisse, les États-Unis) ou dans des pays en voie de développement (comme le Maroc, le Bénin, le Brésil).

Extrait de l’introduction, Des fausses évidences aux vrais défis (rédigée par Xavier Pons et Florence Robine) :

« Les relations entre familles et école sont complexes et se sont souvent construites dans la défiance réciproque (…). On aurait cependant pu s’attendre à ce que la diffusion massive de l’impératif de scolarisation et de réussite scolaire s’accompagne d’une plus grande légitimité et d’une plus grande centralité accordées à l’École dans la formulation des attentes éducatives et des discours des familles.
Or (…) le recours généralisé à l’éducation parallèle traduit une défiance croissante à l’égard de l’École : ainsi sont interprétés l’explosion du tutorat privé en Europe, les “écoles après l’école” japonaises, les heures importantes de soutien prodiguées au Bénin, les travaux complémentaires demandés par certains parents français, la demande au Brésil de “plus d’école et mieux d’école”.
Cette défiance s’explique de plusieurs manières : l’incompréhension vis-à-vis des nouvelles méthodes pédagogiques, mise en évidence ici dans les cas de la France et de la Suisse, les revendications d’un suivi plus individualisé et le constat d’une incapacité croissante de l’école à constituer “son propre recours” (…), les doutes sur la compétence professionnelle des enseignants (en filigrane dans plusieurs articles) ou sur leur investissement (exemple du Bénin). »

J'ai mis en gras un passage qui montre que les démarches constructivistes qui se sont généralisées dans les classes, en France et ailleurs, restent incompréhensibles aux yeux des parents d'élèves. À juste titre, d'ailleurs...

Les parents recherchent l'efficacité chez les enseignants et ne veulent pas de procédures pédagogiques illisibles où leurs enfants font des simulacres d'apprentissages. Ceci explique la tendance, en France, ces dernières années, à recourir aux écoles privées ou aux officines commerciales de soutien éducatif, réputées  pour pratiquer des méthodes d'enseignement plus accessibles. Souvent à tort, d'ailleurs, car les méthodes constructivistes prédominent également dans tous les établissements privés sous contrat.

dimanche 26 mai 2013

Livre : À l'école des dyslexique - Naturaliser ou combattre l'échec scolaire (Sandrine Garcia)




D’après le Haut Conseil de l’Éducation, seulement 60 % des enfants sont aujourd’hui considérés comme ayant des résultats satisfaisants, parmi lesquels seulement 10 % sont capables d’une lecture “fine”, ce qui porte à 6 % les élèves dont on peut estimer qu’ils sont ou seront d’“excellents lecteurs”.

Sandrine Garcia nous propose un livre très intéressant que je recommande à tous ceux qui s’intéressent à la multiplication des cas de dyslexie et, plus généralement, aux problèmes que soulève l’apprentissage de la lecture.

La première partie s’intitule “La construction d’une gauche pédagogique”. C’est la narration passionnante de la prise du pouvoir pédagogique par une minorité constructiviste qui a fini par s’imposer, des années 60 aux années 70. J’en ai fait une synthèse succincte sous le titre Naissance de la pédagogie “progressiste”.

La deuxième partie s’intéresse plus particulièrement à la dyslexie proprement dite. L’auteur fait preuve d’une clarté d’analyse et d’une grande perspicacité qui n’épargne personne. J’en propose quelques exemples.

Comme conséquence de ce qui a été expliqué dans la première partie, est pointé le refus de la systématisation dans les apprentissages constructivistes : « La pathologie est construite à partir d’une représentation de l’apprentissage de la lecture comme étant normalement facile et naturel, le rôle de la systématisation est ignoré, ce qui fait apparaître les efforts de l’enfant comme inquiétants. Cette représentation de l’apprentissage (…) peut être liée aux normes éducatives qui, dans les années 1970, ont opposé le “plaisir”, l’“épanouissement”, le “désir” aux formes plus austères de transmission des savoirs. (…) Elle sous-estime en tout cas l’importance de la systématisation et de la répétition des activités cognitives en jeu et des dispositions qu’elles exigent des élèves, en particulier une “concentration” qui s’acquiert et n’est en rien inhérente à la nature de l’enfant. »

Elle évoque ensuite les problèmes que soulève la prise en charge des élèves par le RASED : « Le passage par le RASED, parfois apprécié des parents, est plus souvent encore critiqué du fait du stigmate que l’enfant ressent vis-à-vis du reste du groupe, puisqu’il est amené à sortir de la classe régulièrement. Certains parents considèrent même ce passage comme une “dérive”, dans la mesure où il prive l’enfant de certains enseignements réservés à tous. D’autres estiment qu’il met l’enfant encore plus en difficulté. »

Face à l’échec des élèves, certains enseignants ne veulent pas remettre en cause leur  pratique pédagogique : « Alors même qu’il existe des démarches qui sont plus ou moins efficaces pour le plus grand nombre des élèves par rapport aux attentes de l’institution (…), les enseignants, qui sont aussi formés selon des normes pédagogiques (…), tendent à renvoyer la responsabilité des échecs scolaires sur les familles. »

Vient justement le tour des familles. Le recours au diagnostic de dyslexie, voire de handicap, ne semble pas toujours bien fondé : « C’est précisément parce que le déchiffrage est une activité initialement laborieuse, qui ne devient aisée qu’après un long entraînement (…) que l’on a réfléchi à la manière dont on pourrait s’en dispenser entre 1970 et 1980. Ainsi l’inversion des lettres ou la segmentation des mots sont-elles parfaitement habituelles en début d’apprentissage. On peut faire l’hypothèse que, lorsque ces signes sont transformés en symptômes confirmés par le diagnostic de dyslexie mobilisé par les parents dans le but de « restaurer l’estime de soi » de l’enfant, celui-ci peut en venir à penser que l’apprentissage n’est pas à sa portée et que le handicap peut lui fournir une “porte de sortie” pour éviter de persévérer dans ses efforts. Sont également mis en rapport avec la dyslexie des signes plus hétérogènes (…) : agitation, hyperactivité, incapacité à se tenir sur une poutre, difficulté à faire ses lacets, volonté de retourner en maternelle, écriture en miroir, mauvaise latéralisation, absence de reconnaissance entre la droite et la gauche, dysgraphie, dyscalculie, dysorthographie (…), manque de repères spatio-temporels, gros problèmes de mémorisation, irritabilité, détresse psychique, manque d’attention, concentration aléatoire, etc. »

Pire encore semble être le rôle des associations de parents d’enfants dyslexiques, et leur rapport avec l’école et les enseignants : « Ce qui est ici à l’œuvre, c’est l’expertise que se constituent les associations [APEDYS] en matière de procédure dans la mise en œuvre des dispositifs, mais aussi l’émergence, au sein du système scolaire, d’une autre forme d’évaluation des compétences des enseignants que leur pédagogie et l’introduction, à travers les dispositifs, d’un regard parental susceptible d’infléchir la définition du métier. Les compétences des enseignants, les qualités du chef d’établissement sont jugées à partir de leur capacité à respecter les dispositifs officiels, et les parents sont invités à s’immiscer dans les relations entre les chefs d’établissement et les enseignants, donc à recourir à l’autorité hiérarchique. Certains dossiers (…) montrent clairement la manière dont l’autorité médicale est mobilisée contre l’autorité scolaire, mais aussi la façon dont le “handicap” de l’enfant est utilisé pour négocier l’acceptation de l’indiscipline. Ils permettent aussi de voir comment une “rhétorique psy” autorise à contester les exigences de l’institution scolaire. »

Dans la troisième partie du livre, intitulée très justement “Une pensée d’institution”, Sandrine Garcia reprend le fil abordé dans la première partie. Nous sommes maintenant dans les années 2000… mais rien n’a changé :
« Les démarches pédagogiques sont ainsi considérées comme “déviantes” ou légitimes en fonction de leur conformité avec les conceptions instaurées dans les années 1970-1980, plutôt que par rapport à la réussite des élèves. »

Il s’agit donc de persister dans l’erreur : à l’école revient la noble mission d’explorer le sens des textes (au prétexte de recourir à l’intelligence), aux orthophonistes la vile mission d’apprendre le déchiffrage (tout ce qui est considéré comme “mécanique” est avilissant) : « L’enjeu est de conserver la valeur attachée à ce patrimoine d’“innovations didactiques” et d’en imposer la valeur contre l’expérience ordinaire des parents et des enfants en difficulté d’apprentissage de la lecture malgré l’“intelligence” des démarches. La préservation du patrimoine politique implique la dénégation des échecs auxquels sont confrontés parents et élèves, et un renversement, qui autorise à définir la “maltraitance” par l’usage d’un manuel syllabique plutôt, par exemple, que par les séances de rééducation orthophonique empiétant soit sur le temps libre de l’enfant soit sur le temps scolaire. »

Une phrase suffit à nous faire comprendre le simulacre d'enseignement qui se met en place avec les pédagogies “actives” : « N’y a-t-il pas des activités qui font illusion parce qu’elles permettent à l’enseignant de croire que les élèves ont été en activité et qu’ils ont acquis quelque chose, sans qu’il soit en réalité possible de s’en assurer ? »

Les conséquences de ces choix pédagogiques sont dramatiques pour les plus vulnérables sur le plan socio-culturel : « Si la “transmission des connaissances” est opposée à la pédagogie et que la “différenciation” et l’“innovation” sont valorisées en tant que telles, l’école ne peut qu’échouer à combattre (…) les inégalités, puisque c’est à travers leurs connaissances que les élèves sont évalués. »

Les enfants qui n’ont pas la chance d’avoir des parents qui jouent les “instits du soir” sont lourdement pénalisés : « Il est frappant de constater que les enseignants considèrent comme un point faible ce qui relève plutôt des compétences de lecture dites de “bas niveau” (automatisation de la lecture) et dont l'importance a été fortement relativisée par toutes les prescriptions de normes (…). On peut faire l’hypothèse que les prescriptions (…) font apparaître certains élèves comme d’autant plus handicapés par leur milieu ou leurs propres déficiences qu’elles valorisent en fait les prérequis culturels. »

Tout n’est pas de la faute des enseignants puisque les démarches pédagogiques inefficaces leur sont recommandées en formation professionnelle et par la hiérarchie immédiate : « Ces différentes enquêtes révèlent l’intensité des injonctions contradictoires auxquelles les enseignants sont soumis : se préoccuper de la réussite de tous les élèves, mais avant tout respecter des normes définies par rapport à d’autres considérations que les difficultés des élèves ou les conditions concrètes d’exercice du métier. De telles injonctions ne peuvent que renforcer ou encourager les dispositions à reporter sur les élèves ou leurs familles les difficultés constatées et, en définitive, à entériner la croyance dans le caractère fatal des inégalités. »

Le pire étant que les enseignants spécialisés des RASED mettent généralement en œuvre des activités ludiques et inconsistantes avec les élèves qu'ils prennent “en soutien”, au lieu de leur dispenser un enseignement systématique, structuré et explicite qui les aiderait vraiment : « Indiquer comment les enseignants spécialisés peuvent être invités par certains formateurs à ne pas traiter prioritairement l’échec scolaire, tout en étant officiellement des spécialistes. Mais, dans la mesure où l’aide est prodiguée durant le temps de la classe, ne se pose pas moins la question de prendre sur ce temps d’enseignement pour proposer à l’élève un temps individualisé, qui peut être sans effet direct sur ses apprentissages alors même qu’il est présenté comme une aide dans ce domaine, tout au moins aux parents. Ce qui est en jeu, c’est donc le contenu de l’activité et le type d’expertise que développe la formation des enseignants spécialisés. Le fait de prendre des élèves en petits groupes est a priori une condition favorable à l’aide, mais uniquement dans la mesure où il permet un temps plus productif que celui des apprentissages au sein de la classe. »

Au total, un livre passionnant qui fait comprendre plusieurs défauts rédhibitoires de l’École de ces quarante dernières années.

Je laisse encore une fois la parole à Sandrine Garcia pour ma conclusion : « Si la frontière entre difficulté scolaire et dyslexie reste incertaine, tout au moins pour de nombreux enfants déclarés comme dyslexiques, les problèmes et la souffrance de ces derniers et de leurs parents existent bel et bien. La question n’est donc pas de savoir si la dyslexie existe, ou celle de distinguer “vrais” ou “faux” dyslexiques, mais vraiment d’analyser le plus finement possible comment l’élève passe de la difficulté ponctuelle au handicap. »

Tel est le thème central de ce livre.

_________________________
À l'école des dyslexiques – Naturaliser oucombattre l'échec scolaire ?
Sandrine GARCIA
La Découverte, 02.2013, 309 p.

vendredi 24 mai 2013

Le naufrage de l'enseignement des sciences en France


Rapport de la Cour des Comptes : Gérer les enseignants autrement, p 148

Source : LesEchos.fr


En 1996, Georges Charpak  qui n'était pas Prix Nobel de pédagogie  a découvert aux États-Unis le programme Hands On. Il en a aussitôt dupliqué une version française : La Main à la pâte. Cela a entraîné une véritable catastrophe dans l'enseignement de sciences en France. Car c'est cette démarche constructiviste qui est depuis lors officiellement recommandée, notamment par l'Académie des sciences et même par les Instructions officielles de 2008. Au mépris de toute liberté pédagogique et sans que cette démarche ne soit validée par la moindre donnée probante, ni même ne fasse l'objet d'une évaluation sérieuse de son efficacité. 

Est-il d'ailleurs besoin d'une évaluation ? Le graphique ci-dessus parle de lui-même : en culture scientifique, le score de la France en 2009 est en recul par rapport à celui de 2000. Pire, il se situe désormais nettement au-dessous de la moyenne OCDE.

Comme pour le reste, l'enseignement des sciences devrait être structuré, progressif et explicite. On ne tire un bénéfice de l'expérimentation qu'à condition d'avoir la maîtrise suffisante des connaissances et des habiletés de base en matière scientifique. 

Malgré ces résultats, il est toujours hors de question de remettre en cause La Main à la pâte. On va encore nous dire que si cette démarche ne fonctionne pas, c'est qu'elle n'est pas assez implantée et répandue ! Argument-type des constructivistes qui ne veulent en aucun cas remettre en cause leurs pratiques ontologiquement inefficaces. Si le constructivisme ne marche pas, c'est forcément la faute des enseignants qui ne le pratiquent pas suffisamment, réellement et correctement. Malgré une formation professionnelle univoque et une hiérarchie totalement acquise à ces méthodes. Depuis quarante ans.

Aussi, passons encore un trimestre à laisser les élèves expérimenter et “découvrir” que l'eau bout si on la chauffe et gèle si on la refroidit. Après avoir inventé l'eau tiède, on pourra ensuite réinventer la roue ou le fil à couper le beurre...

Et pendant que nous nous livrons à ces facéties pédagogiques, les autres pays avancent. Surtout les pays émergents. 

Et pendant qu'eux émergent, nous coulons.