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mercredi 6 février 2013

Pascal Bressoux : « On sait que l’efficacité du dispositif du plus de maîtres que de classes est très variable »





Pascal Bressoux est professeur en sciences de l’éducation à l’université Pierre-Mendès-France (Grenoble).

La circulaire sur le « plus de maîtres que de classes » a été rendue publique le 15 janvier. Quel dispositif se cache derrière le slogan ? 

Symbole de la priorité donnée au primaire, l’affectation de maîtres surnuméraires dans certaines écoles doit permettre une meilleure prise en charge de la difficulté scolaire dans les quartiers défavorisés. En accordant 7000 postes sur le quinquennat à un tel dispositif, le ministère de l’éducation nationale en a fait une mesure phare de sa politique éducative dans le premier degré. 7000 postes - sur 14000 affectés au primaire en cinq ans -, c’est un investissement important ! Cela peut en valoir le coup s’il est mis en œuvre dans de bonnes conditions.

Qu’entendez-vous exactement par « de bonnes conditions » ? 

On sait que le « plus de maîtres que de classes » a déjà été introduit dans les pays anglo-saxons notamment. Et que l’efficacité du dispositif est très variable. Aux Etats-Unis, où des enseignants surnuméraires ont été affectés à des programmes de remédiation ciblant des activités et des apprentissages précis, les résultats sur les performances des élèves ont été manifestes. Ce n’est pas le cas des expériences menées en Grande-Bretagne, où des évaluations toutes récentes se sont révélées décevantes. Là-bas, des assistants d’enseignement ont été affectés dans des classes auprès d’enseignants titulaires, sans consignes précises. Aux écoles de définir leurs missions. L’enseignant titulaire de la classe a alors eu tendance à se détourner des élèves en difficulté pour faire cours au reste de la classe. Il faut être très attentif à ce risque : que le dispositif ne décharge pas l’enseignant de ses responsabilités vis-à-vis des élèves en difficulté.

En France, des affectations d’enseignants « en plus » ont perduré ces dernières années, en dépit des suppressions de postes... 

Effectivement, des maîtres surnuméraires ont pu être affectés dans l’éducation prioritaire notamment, mais jamais de manière systématique. Le système français traite plutôt la difficulté scolaire avec le redoublement. Autre levier : l’intervention des maîtres des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), qui interviennent sur un réseau d’écoles et en dehors de la classe, un peu comme si la difficulté était externalisée. L’enjeu du « plus de maîtres que de classes », c’est de cibler les interventions vers les publics qui en ont le plus besoin pour traiter la difficulté scolaire au sein de la classe. Lui apporter une réponse précoce, intensive et régulière. C’est d’une difficulté scolaire assez « banale » dont il s’agit : celle qui concerne environ un quart des écoliers, et dont on sait qu’elle est « traitable » par des moyens d’enseignement, autrement dit par la pédagogie. Je ne dis pas que les professeurs des écoles ne s’y attellent pas au quotidien ; c’est plutôt qu’ils n’ont pas les moyens organisationnels ni la formation pour le faire de façon systématique et ciblée en fonction des difficultés particulières des élèves.

Vous parlez de moyens. Faut-il des aptitudes particulières pour être maître surnuméraire ? 

Plutôt que de raisonner sur les qualités supposées des enseignants surnuméraires - chevronnés, à l’écoute, etc. -, il faut s’intéresser aux tâches qui leur incombent, et aux conditions dans lesquelles elles leur incombent, car c’est d’elles dont dépend l’efficacité du dispositif. Si les surnuméraires sont envoyés dans des classes sans définition préalable de leurs missions, l’investissement consenti n’aura pas l’effet escompté. Il faut bannir les consignes générales et floues.


Le dispositif demande un vrai changement dans les pratiques pédagogiques. Est-ce plus de travail pour les enseignants ? 

Cela peut l’être. Les enseignants doivent faire l’effort d’ouvrir leur classe à un pair. Ils doivent préparer des exercices et des évaluations spécifiques. Ils y parviendront s’ils ont la formation adéquate. Les sciences cognitives et sociales ont énormément progressé ces vingt dernières années, notamment dans la connaissance des processus conatifs - pourquoi un élève va-t-il être plus ou moins motivé, l’est-il intrinsèquement ou pas... -, dans les processus neurocognitifs, etc. Il faut que les enseignants puissent en bénéficier afin de s’approprier ce nouveau dispositif.

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