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mercredi 28 novembre 2012

Les invariants de Freinet

Constructivisme

En 1964, Freinet publie ses Invariants pédagogiques pour que les adeptes de sa méthode puissent « reconsidérer un certain nombre de notions et de pratiques psychologiques, pédagogiques, techniques et sociales qu’on tient communément comme admises dans les milieux scolaires », et se débarrasser ainsi des idées reçues de l’enseignement traditionnel [1]. Il s’agit en fait de les remplacer par les siennes puisque Freinet, de son propre aveu, ne s’appuie que sur son expérience et son « bon sens » [2].

Qu’est-ce qu’un “invariant” ? « C’est tout ce qui ne varie pas et ne peut pas varier. » En d’autres termes, ce sont des vérités intangibles et incontestables qu’il faut admettre comme telles. Et pour vérifier qu’on a bien retenu la leçon, Freinet place un questionnaire à la fin de chaque invariant.

Dans cette liste d’une trentaine d’affirmations, seul un quarteron d'entre elles surnage [3]. Le reste n’est qu’une collection d’idées préconçues, sans aucune justification scientifique. À leur lecture, on s’aperçoit néanmoins combien elles ont influencé le système éducatif français depuis les années 1970. Freinet a eu son heure de gloire, à tel point qu’enseigner signifiait “faire du Freinet” pour la plupart des formateurs. Aujourd’hui, la mode est un peu passée, mais le constructivisme demeure puissamment majoritaire. Comme il repose sur des croyances, c’est devenu une véritable religion pédagogique dont on ne peut s’écarter au risque d’être taxé d’hérésie. Ce qui, professionnellement, reste très dangereux…

Invariant n° 1 : « L’enfant est de même nature que l’adulte. »
C’est donc, selon Freinet, un adulte en miniature. Cela commence bien ! Cette affirmation fallacieuse est à l’origine de déficiences éducatives dont on mesure maintenant l’étendue des dégâts. Les parents n’ont plus osé dire non, ils parlementent en permanence pour obtenir la moindre chose de leurs enfants, ils implorent leur affection comme le feraient des amoureux éconduits. Et il faudrait, selon Freinet, faire la même chose à l’école ! Non, un enfant, comme un élève, doit être considéré comme tel, il doit être aimé, respecté, éduqué et instruit par des adultes responsables et conscients de leurs devoirs.

Invariant n° 2 : « Être plus grand ne signifie pas forcément être au-dessus des autres. »
D’où la nécessité absolue de supprimer les estrades et de détrôner le bureau du maître, symbole de la “scolastique”. Pour être un pédagogue moderne, à la Freinet, il faut se mettre au niveau des élèves. D’où la tentation permanente du recours à la démagogie pour être aimé par sa classe. Ce qui se termine souvent fort mal, avant même le mois de juin.

Invariant n° 3 : « Le comportement scolaire d’un enfant est fonction de son état physiologique, organique et constitutionnel. »
Cette formule alambiquée signifie que, quand on enseigne, il faut s’intéresser aux raisons personnelles qui amènent l’élève à être en difficulté ou à avoir des problèmes de comportement. Ce qui est la moindre des choses. À condition toutefois de ne pas se prendre pour un thérapeute ou une assistante sociale.

Invariant n° 4 : « Nul – l’enfant pas plus que l’adulte – n’aime être commandé d’autorité. »
C’est avec ce genre de poncif qu’on a obtenu quelques années après des générations d’enfants-rois, puis d’enfants-tyrans avec lesquels les parents (comme souvent les enseignants) ont les pires difficultés.

Invariant n° 5 : « Nul n’aime s’aligner, parce que s’aligner, c’est obéir passivement à un ordre extérieur. »
Il vaut donc mieux entrer en classe en se bousculant et en braillant. Belle préparation à la reprise du travail et des efforts que nécessitent les apprentissages ! Pour Freinet, l’obéissance est synonyme d’abêtissement et, pour bien nous faire comprendre, il nous parle de l’armée, qu’il estime sans doute composée d’abrutis. Les militaires apprécieront.

Invariant n° 6 : « Nul n’aime se voir contraint à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît pas particulièrement. C’est la contrainte qui est paralysante. »
Freinet s’inspire de Rabelais et de son abbaye de Thélème : « Fais ce que voudras ». Les activités “scolaires” « se recouvrent d’un voile maléfique », et provoquent « des phobies, des anorexies et des complexes graves ». Avec cet invariant, on tombe donc dans ce qu’on appelle communément la psychologie de comptoir.

Invariant n° 7 : « Chacun aime choisir son travail, même si ce choix n’est pas avantageux. »
Les élèves continuent donc à ne faire que ce qu’ils veulent. Parions que, une fois devenus adultes, leur arrivée dans le monde du travail ne sera pas des plus faciles compte tenu des mauvaises habitudes qu’ils auront prises dans leur jeunesse. Le retour à la vraie vie risque d'être douloureux...

Invariant n° 8 : « Nul n’aime tourner à vide, agir en robot, c’est-à-dire faire des actes, se plier à des pensées qui sont inscrites dans les mécaniques auxquelles il ne participe pas. »
On trouve là un des défauts majeurs que Freinet attribue à la “scolastique” : l’étude “mécanique”. Qu’est-ce que la mécanique ? Les devoirs scolaires imposés, dont l’enseignement traditionnel est effectivement coutumier. Pour autant, est-ce que la “mécanique” vise aussi l’acquisition des automatismes ? Probablement, dans l’esprit de Freinet. Autrement dit, les savoirs de base ne doivent pas être automatisés afin que la moindre tâche subalterne mobilise toutes les ressources cognitives de l’élève, quitte à saturer sa mémoire de travail. Dès lors, faire une multiplication ou écrire un texte deviennent des corvées éprouvantes puisqu’on n’a pas automatisé l’algorithme de l’opération ou l’orthographe lexicale des mots courants. Mais, selon Freinet, il suffit sans doute de « choisir son travail » et, par conséquent, de faire autre chose…

Invariant n° 9 : « Il nous faut motiver le travail. »
Exemple de “travail vivant” : écrire un texte libre, écrire pour le journal de l’école, écrire à ses correspondants, imprimer, dessiner, peindre… Bref, toutes les activités d’une classe Freinet. À supposer que les élèves aient vraiment envie de faire tout cela plus qu’autre chose. Ce qui reste tout de même à démontrer.

Invariant n° 10 : «  Plus de scolastique. »
L’injonction est brève. C’est le mot d’ordre de tous les constructivistes. L’ennemi, c’est l’enseignement traditionnel. Et dire qu’aujourd’hui, les nostalgiques de l’école d’autrefois parlent de Freinet comme d’un « instituteur de génie » [4]. Les questions pédagogiques ne sont décidément pas leur point fort.

Invariant n° 10bis : « Tout individu veut réussir. L’échec est inhibiteur, destructeur de l’allant et de l’enthousiasme. »
Sur ce point, Freinet voit juste. Il écrit : « Toute la technique de l’École traditionnelle est basée sur l’échec ». Ce qui est vrai. Un enseignant explicite aurait pu écrire comme lui : « Nous pouvons pratiquer une pédagogie qui permette aux enfants de réussir. » Réussir dans ses apprentissages est un gage de confiance en soi qui entraîne à son tour la réussite. Mais encore faut-il que ces apprentissages soient le résultat d’un enseignement structuré et efficace, ce que n’est pas la pédagogie Freinet.

Invariant n° 10ter : « Ce n’est pas le jeu qui est naturel à l’enfant, mais le travail. »
Encore une fois, je me trouve en accord avec Freinet. Comme lui, j’aurais pu écrire, à propos de l’enseignement explicite : « Notre pédagogie est justement une pédagogie du travail. Notre originalité c’est d’avoir créé, expérimenté, diffusé des outils et des techniques de travail dont la pratique transforme profondément nos classes. »

Invariant n° 11 : « La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’École, mais le Tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle. »
Les recherches les plus récentes ont prouvé de manière formelle que c’est exactement l’inverse. L’hypothèse de base des constructivistes est fausse. Et ce n’est pas en mettant une majuscule à “tâtonnement” que cela rendra la démarche plus efficace.

Invariant n° 12 : « La mémoire, dont l’École fait tant de cas, n’est valable et précieuse que lorsqu’elle est intégrée au Tâtonnement expérimental, lorsqu’elle est vraiment au service de la vie. »
On ne connaissait pas en 1964 ce que l’on sait aujourd’hui à propos de la mémoire de travail et de la mémoire à long terme, qui sont les mémoires les plus utilisées dans les apprentissages. Les sciences cognitives actuelles contredisent cruellement cette certitude énoncée par Freinet.

Invariant n° 13 : « Les acquisitions ne se font pas, comme l’on croit parfois, par l’étude des règles et des lois, mais par l’expérience. Étudier d’abord ces règles et ces lois, en français, en art, en mathématiques, en sciences, c’est placer la charrue devant les bœufs. »
Tout dépend si on veut être efficace pour des apprentissages rapides. Pour mettre la charrue et les bœufs dans le bon ordre, il faut partir du simple pour aller au complexe. Et non l’inverse, comme le préconise Freinet avec ses expérimentations.

Invariant n° 14 : « L’intelligence n’est pas, comme l’enseigne la scolastique, une faculté spécifique fonctionnant comme en circuit fermé, indépendamment des autres éléments vitaux de l’individu. »
Toujours le plaidoyer en faveur du tâtonnement expérimental, avec l’intelligence comme argument. Mais qu’est-ce que l’intelligence ? Le concept mériterait d’être défini avec précision [5].

Invariant n° 15 : « L’École ne cultive qu’une forme abstraite d’intelligence, qui agit, hors de la réalité vivante, par le truchement de mots et d’idées fixées par la mémoire. »
Freinet veut réhabiliter ce qu’il appelle l’intelligence des mains, l’intelligence artistique, l’intelligence sensible, etc. Pourquoi pas, dès lors que les compétences de base sont solidement acquises…

Invariant n° 16 : « L’enfant n’aime pas écouter une leçon ex cathedra. »
Encore une attaque – justifiée – contre l’enseignement traditionnel, pour promouvoir les pédagogies “actives” qui ne valaient guère mieux. Elles sont la cause de classes agitées et bruyantes d’où les élèves sortent fatigués, bien qu'ayant peu appris.

Invariant n° 17 : « L’enfant ne se fatigue pas à faire un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel. »
De fait, les élèves ne se fatiguent pas dans des tâches où ils réussissent en ayant le sentiment d’avoir surmonté une difficulté. C’est plus une question d’estime de soi que de “ligne de vie”.

Invariant n° 18 : « Personne, ni enfant ni adulte, n’aime le contrôle et la sanction qui sont toujours considérés comme une atteinte à sa dignité, surtout lorsqu’ils s’exercent en public. »
Freinet n’a pas tort lorsqu’il écrit : « À l’École traditionnelle, l’enfant est en principe toujours fautif. Le maître a tendance à voir dans les travaux de ses élèves non ce qui est bien mais ce qui est, selon lui, condamnable. » De même lorsqu’il ajoute : « Notre rôle d’éducateur est (…) : non corriger mais aider à réussir et à dépasser les erreurs. L’attitude aidante est la seule valable en pédagogie. » Tout à fait d’accord, même si nos conclusions diffèrent : pour Freinet, il faut implanter les méthodes “naturelles”, alors que, selon moi, c’est par la pédagogie explicite qu’on aide l’élève à réussir en vérifiant scrupuleusement, à chaque étape, la bonne compréhension et en veillant au maintien en mémoire longue.

Invariant n° 19 : « Les notes et les classements sont toujours une erreur. »
Voilà un invariant qui est revenu en force ces derniers temps. C’est un cheval de bataille des constructivistes. Selon eux, les notes et les classements stigmatiseraient les élèves. Pourtant, même Freinet le reconnaissait déjà, les parents d’élèves y tiennent car ils y trouvent des repères compréhensibles sur le niveau de leur enfant, par rapport aux autres et par rapport à lui-même dans son cursus. La phobie de l’évaluation chez les constructivistes s’explique par la crainte qu’ils ont de voir s’afficher à la vue de tous l’inefficacité de leurs pratiques. Casser le thermomètre ne supprime pas la fièvre, mais on pourra toujours dire qu'on ne savait pas.

Invariant n° 20 : « Parlez le moins possible. »
Et pour cela, Freinet donne le moyen : « N’expliquez pas à tout propos : cela ne sert à rien. » En d’autres termes, laissez les élèves se dépatouiller avec les situations problèmes que vous leur avez mis sous le nez. Probablement, quelques-uns surnageront. Quant aux autres, qui sont la majorité, ils couleront. Par opposition, je préfère la phrase célèbre de Siegfried Engelmann, père du Direct Instruction : « Si l’élève n’a pas appris, c’est que le maître n’a pas enseigné. » Et pour enseigner, il faut expliquer tant que la compréhension n’est pas acquise.

Invariant n° 21 : « L’enfant n’aime pas le travail de troupeau auquel l’individu doit se plier. Il aime le travail individuel ou le travail d’équipe au sein d’une communauté coopérative. »
On retrouve là aussi le dogme constructiviste qui affirme – sans preuves – la suprématie du travail en groupe ou de la pédagogie différenciée sur le travail avec la classe. Pourquoi ? On ne sait pas, on ne l’explique pas. Il faudrait pourtant prouver que ces dispositifs pédagogiques sont plus efficaces avant d’en proclamer la vertu. Et si possible grâce à des enquêtes portant sur de grands nombres d’élèves, et pas sur la seule classe d’un militant convaincu à l’avance.

Invariant n° 22 : « L’ordre et la discipline sont nécessaire en classe. »
Oui, vous avez bien lu ! Après avoir dit tout le bien qu’il pensait de l’ordre militaire, voilà que Freinet le revendique dans ses classes. Il faut dire que, déjà à cette époque, les écoles Freinet avaient la réputation « d’un manque anarchique d’organisation », les gens pensant que « l’expression libre est synonyme de licence et de laisser-aller » (en lisant en creux ce que Freinet écrit, probablement non sans raison). Le pédagogue parle d’un “ordre profond”, fruit « d’une véritable technique de vie motivée, et voulue par les usagers eux-mêmes ». L’autodiscipline : rêve de tous les constructivistes…

Invariant n° 23 : « Les punitions sont toujours une erreur. Elles sont humiliantes pour tous et n’aboutissent jamais au but recherché. Elles sont tout au plus un pis-aller. »
Les enseignants explicites réprouvent également les punitions humiliantes, mais nous sommes pour des sanctions qui apprennent comment il faut se comporter dans une collectivité comme une école ou une classe. Freinet supprime les punitions mais ne dit pas comment les remplacer avec un objectif éducatif. Il continue de rêver à des classes idéales où règne la plus parfaite harmonie.

Invariant n° 24 : « La vie nouvelle de l’École suppose la coopération scolaire, c’est-à-dire la gestion par les usagers, l’éducateur compris, de la vie et du travail scolaire. »
Freinet est un homme de son temps. Il a vécu l’âge d’or du mouvement des coopérateurs et s’en est étroitement inspiré. Il reprend dans cet invariant l’idée de la classe coopérative dont il fait un préalable indiscutable. Il s’agit en fait d’un simple credo auquel on souscrit… ou pas.

Invariant n° 25 : « La surcharge des classes est toujours une erreur pédagogique. »
Pour Freinet, « l’acquisition des connaissances reste malgré tout une fonction mineure de l’École » (!). Ce qui est important, « c’est la formation en l’enfant de l’homme de demain ». Toujours le vieux rêve totalitaire des constructivistes qui veulent changer la société en forgeant l’Homme nouveau [6]. Pour y parvenir, il faut des classes à effectif allégé. Moins il y a d’élèves, plus l’harmonie dont il était question plus haut sera facile à maintenir. Les constructivistes veulent des moyens, encore des moyens et toujours des moyens. Or il ne s’agit pas d’un manque de moyens, mais de conceptions d’enseignement erronées. Même avec dix élèves, la pédagogie de découverte reste inefficace.

Invariant n° 26 : « La conception actuelle des grands ensembles scolaires aboutit à l’anonymat des maîtres et des élèves ; elle est, de ce fait, toujours une erreur et une entrave. »
Freinet est partisan des petites écoles, de 5 à 6 classes. C’est son droit. De là à en faire une vérité verticale…

Invariant n° 27 : « On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l’École. Un régime autoritaire à l’École ne saurait être formateur de citoyens démocrates. »
Qu’en sait-on ? Les exemples de grands démocrates qui sont passés dans leur jeunesse par des écoles très strictes sont légion. En revanche, les écoles totalitaires qui pratiquaient le bourrage de crâne révolutionnaire n’ont pas été les pépinières de citoyens d’élite qu’on espérait. Pour moi, c’est une évidence : celui qui respecte les enfants n’entend pas les endoctriner. Je renvoie à la magnifique phrase de Jean Rostand : « Former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler, leur communiquer une force dont ils puissent faire leur force, les séduire au vrai pour les mener à leur propre vérité, leur donner le meilleur de soi sans en attendre ce salaire qu'est la ressemblance. »

Invariant n° 28 : «  On ne peut éduquer que dans la dignité. Respecter les enfants, ceux-ci devant respecter leurs maîtres est une des premières conditions de la rénovation de l’École. »
Tout à fait d’accord. Avec un bémol toutefois sur la “rénovation de l’École” qui a servi de prétexte à toutes sortes de fadaises pédagogiques.

Invariant n° 29 : « L’opposition de la réaction pédagogique, élément de la réaction sociale et politique est aussi un invariant avec lequel nous aurons, hélas ! à compter sans que nous puissions nous-mêmes l’éviter ou le corriger. »
Peut-être que Freinet se souvient de Saint-Paul de Vence où la municipalité – de droite – a obtenu sa mutation en s’appuyant sur une sombre histoire de toilettes bouchées qui n’avaient pas été nettoyées. Il reconnaît que plusieurs de ses partisans sont critiqués, dénigrés, calomniés parce qu’ils « veulent aller de l’avant, parce qu’ils s’efforcent d’être de vrais éducateurs ». Pour Freinet, ce sont les martyrs de la cause…

Invariant n° 30 : « Enfin un invariant qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action : c’est l’optimiste espoir en la vie. »
Freinet précise : « Plus l’individu est jeune et neuf, plus il éprouve le besoin d’avancer avec témérité. Quand l’autorité brutale croit l’avoir stoppé dans son élan, le voilà qui prend clandestinement des voies de traverse pour dépasser les obstacles et reprendre ensuite sa marche en avant. » C’est précisément ce que font les enseignants explicites dans des systèmes éducatifs complètement soumis aux dictats constructivistes, depuis les formateurs jusqu’à la hiérarchie en passant par les “experts” dont les médias raffolent. Leur lobby est toujours puissant mais l’espoir a désormais changé de camp.
Il était temps…


[1] . Que Freinet, se prenant pour Érasme, appelle dédaigneusement “la scolastique”.
[2] . « C’est une nouvelle gamme des valeurs scolaires que nous voudrions ici nous appliquer à établir, sans autre parti pris que nos préoccupations de recherche de la vérité, à la lumière de l’expérience et du bon sens. » (Introduction)
[3] . Les invariants n° 10bis, 10ter, 18 et 28.
[4] . Selon l’expression de Jean-Paul Brighelli, dans un de ses pamphlets paru en 2008.
[5] . Ailleurs, Freinet n’hésitait pas à parler d’« individus retardés, ou tarés » (Pour l’école du peuple).
[6] . Hitler et Staline ne disaient pas autre chose.

mercredi 21 novembre 2012

Professeurs des écoles : le burn-out des débutants


La Lettre de l’éducation publie une interview de Laurence Bergugnat, maître de conférences en sciences de l’éducation. Celle-ci parle d'une étude menée sur l’épuisement professionnel des enseignants débutants par sept chercheurs en sciences de l’éducation et en psychologie de l’université de Bordeaux II-IUFM d’Aquitaine. Ces derniers ont suivi une cohorte d’enseignants débutants pendant 3 ans, de la fin de leur formation à l’IUFM en 2008 à la fin de leur 2e année d’affectation. Soulignons qu’il s’agit donc d’une cohorte qui n’a pas subi de plein fouet la masterisation, la désastreuse réforme du ministre Chatel (on peut donc légitimement penser que les résultats obtenus pour ceux de 2008 seront bien pire pour les cohortes suivantes). L’échantillon initial se composait de 744 stagiaires de tous les IUFM de France, dont 45 % de professeurs des écoles, qui ont été interrogés six fois au cours de la période. Le travail est allé en se simplifiant pour les chercheurs puisque il ne restait que 84 “survivants” à l’arrivée. Soit une déperdition de près de 90 % de l’effectif initial ! On comprend que le ministère ne donne aucune statistique sur les abandons des (jeunes) enseignants. La question des démissions, année après année, reste l’objet d’une véritable omerta…

Voici ce que dit Laurence Bergugnat (passages mis en gras par nous) : 
« Notre étude montre des signes plutôt élevés d’épuisement professionnel, puisque 9,14 % des enseignants sont en burn-out au cours leur première année d’exercice. Ce phénomène se caractérise par trois symptômes : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation de la relation avec les élèves - l’enseignant ne supporte plus l’élève ; il est incapable de lui manifester de l’empathie, de la bienveillance, et développe une attitude cynique, de rejet ou d’humiliation. Le troisième symptôme est le non-accomplissement : l’enseignant ne se réalise plus dans son travail. Ce sont les professeurs des écoles qui souffrent le plus d’épuisement émotionnel : 54,80 % d’entre eux sont concernés, contre 39,40 % des professeurs de collège et de lycée, 37 % des professeurs de lycée professionnel. »
Il est intéressant de noter que « c’est en agissant en amont, sur les sources de stress – telles que la surcharge de travail, la difficulté scolaire, le décrochage, l’hétérogénéité des classes, les dysfonctionnements de l’institution, le manque de valorisation, les conflits relationnels et le manque de respect des élèves - que l’on construit un climat scolaire de qualité. » Donc les sources de stress sont bien connues et inventoriées, même si rien n’est fait de sérieux pour y remédier au sein de l’Éducation nationale.

D’après Laurence Bergugnat, « les enseignants en burn-out font souvent le récit d’un enseignement traditionnel, qui exclut, isole, exige des élèves qu’ils restent tranquilles ». Ce qui n’est sans doute pas faux parce que  «  les enseignants en burn-out amènent leurs élèves à se sentir plus compétents ». Ils ont donc le souci de l’efficacité de leur enseignement : «  Le burn-out est corrélé à des antécédents personnels, en particulier le sentiment d’efficacité et les représentations du métier. » Par conséquent, les enseignants constructivistes sont moins victimes de burn-out, puisque dans les pédagogies “actives” l’efficacité de l’enseignement est loin d'être un enjeu crucial.

D’ici à ce que les chercheurs recommandent aux jeunes instituteurs de prendre leur métier avec moins de sérieux, d’exigences et d’ambition, il n'y a qu'un pas. À titre prophylactique bien sûr…

samedi 17 novembre 2012

Professeurs des écoles : de lourdes obligations de service


Le décret de juillet 2008 fixe les obligations de service des instituteurs et des professeurs des écoles à 27 heures par semaine (les professeurs agrégés : 15 heures ; les professeurs certifiés : 18 heures).

Ce temps de service hebdomadaire se décompose en 24 heures d’enseignement  plus 3 heures de service. Sur les 36 semaines de l’année scolaires, cela donne 864 heures d’enseignement plus 108 heures de service (soit un total de 972 heures par an).

Les 108 heures de service se répartissent en :
- 60 heures pour l’aide personnalisée aux élèves en difficultés (interventions et préparation) ;
- 24 heures pour les conseils des maîtres, les relations avec les parents d’élèves, les réunions d’équipe éducative pour les élèves handicapés ;
- 18 heures d’animations pédagogiques prévues par l’IEN ;
- 6 heures de participation obligatoire aux conseils d’école.

Par ailleurs, rappelons que les enseignants du Primaire doivent être présents 10 minutes avant, le matin et l'après-midi, pour accueillir les élèves. Ils doivent aussi assurer le service de surveillance des élèves pendant les récréations. Et en maternelle, il n'est pas rare d'être contraint d'attendre les parents qui arrivent en retard pour récupérer leur enfant. On le voit : les obligations de service ont plutôt tendance à s'alourdir dans le quotidien des classes.

Selon les calculs de l’OCDE, les enseignants du primaire donnent 918 heures de cours par an, alors qu’il n’y a que 642 heures au collège et 628 au lycée. D’où une forte disparité entre enseignants du Primaire et du Secondaire appartenant à la même catégorie A de la fonction publique.

De plus, les enseignants du primaire français font nettement plus d’heures que la moyenne des enseignants de l’OCDE (779 heures).



Graphique


Pour être complet, il faudrait ajouter les temps de préparation des cours, de correction des travaux des élèves, de documentation personnelle et d’auto-formation. Ce qui fait des semaines de 40 heures au moins. À quoi s’ajoutent une vingtaine de jours de vacances par an que les enseignants consacrent à leur métier, selon une enquête menée en 2002 par l’Éducation nationale pour le Second degré mais qui vaut également, selon moi, pour le Premier degré.

Le tout pour un salaire médiocre, nettement inférieur aux autres fonctionnaires de la même catégorie et nettement inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE, que ce soit en début, au milieu ou en fin de carrière.

Et l’on s’étonne d’une “crise des vocations” ?